Jacques Mauger

SUPERIEUR DU SEMINAIRE DE COUTANCES (1821-1833)

par Christian HENRI et Dominique SERET

D’après « Le séminaire de Coutances et Avranches » de J. Blouet, archives diocésaines de Coutances, 1936, et avec tous nos remerciements à l’Evêché de Coutances et Avranches

En 1821, M. Lesplu-Dupré ayant été appelé à remplir les fonctions de vicaire général dont il n'avait eu jusque là que le titre honorifique estima que personne ne pouvait le remplacer dans sa charge de supérieur du Séminaire aussi bien qu'un de ses jeunes collaborateurs âgé seulement de vingt-sept ans.
M. Mauger était originaire de la paroisse de Ger, au doyenné de Barenton, et son père exerçait la profession de boulanger. Il naquit le 18 octobre 1787 et fut appelé Jacques par son aïeul paternel -ci-contre extrait du registre paroissial de 1787 (1)-. Il fit ses premières études au collège de Mortain et passa ensuite à celui d'Avranches. C'est là qu'il eut M. Lesplu-Dupré pour professeur de philosophie et de théologie. Il le suivit à Coutances en 1809. Nous avons encore ses lettres d'ordination. Le 24 septembre 1808, il reçut à Coutances la tonsure et les ordres mineurs. Il fut sous-diacre le 22 décembre 1810. Un an plus tard, le 21 décembre 1811, il fut promu au sacerdoce à Coutances par Monseigneur Dupont-Poursat. Il songea d'abord à entrer dans la Compagnie de Saint-Sulpice, puis à se faire jésuite lorsque le Père Roger, son directeur spirituel, rentra dans la Compagnie de Jésus reconstituée. Mais la Providence le réservait pour rendre les plus grands services à notre Séminaire.

M. Lesplu-Dupré continua de demeurer au Séminaire jusqu'à sa mort. Il avait demandé cette faveur à Mgr Dupont-Poursat qui, touché jusqu'aux larmes à la pensée de tout ce que lui devait cette maison, s'était empressé d'accéder à son désir. Ce fut un sujet de grande édification pour les séminaristes, de voir d'une part, la discrétion de M. Lesplu-Dupré continuant modestement sa vie de communauté avec le souci de se faire oublier au profit de son successeur, et, d'autre part, les attentions délicates de M. Mauger qui s'astreignait chaque jour à lui faire une longue visite pour continuer de bénéficier de son expérience.
Le nouveau supérieur « était un prêtre exceptionnellement doué, d’une facilité prodigieuse et d'un talent universel. Souvent, il nous est arrivé d'entendre nos anciens parler de sa taille avantageuse, de son éloquence pleine de grandeur, de sa parole abondante autant que persuasive, de ses cours d'exégèse qui émerveillaient ses auditeurs. »
On cite un trait qui montre la facilité de ses improvisations, mais trahit peut-être un manque d'égards pour un prédicateur embarrassé. Ce dernier, chargé du sermon sur le Sacré-Cœur, pour la fête patronale du Séminaire, intimidé sans doute par l'auditoire, comme le sont parfois les prêtres lorsqu'ils s’adressent à leurs confrères, s'était vu dans l'humiliante nécessité de descendre de chaire dès le début de son discours. M. Mauger s'élance de sa place, monte à son tour dans la chaire vide et, prenant la parole : « Eh quoi! s’écria-t-il. Faut-il tant d'éloquence pour vous louer, ô Cœur de mon Jésus ? N'êtes-vous pas le centre de toute vie, de toute intelligence et de tout amour ? » Et le voilà emporté par la beauté de ce sujet et merveilleusement inspiré pendant une grande demie heure, ravissant son auditoire par une improvisation toute spontanée dont le début, s’il est rapporté ici exactement, aurait pu être plus obligeant pour celui dont il prenait la place.
Quelle fut, sur les séminaristes et sur le clergé, l’action de M. Mauger ? Le témoignage de son successeur va nous l'apprendre : « Nul n'avait plus que lui le talent de se concilier la confiance et l'affection de ses élèves. L'esprit d'ordre et de régularité dirigeait toutes ses actions ; un zèle éclairé le tenait en garde contre toute innovation malencontreuse. Dans les affaires, un coup d'œil juste lui indiquait sur-le-champ la marche à suivre. Ayant enseigné avec succès toutes les parties de la science ecclésiastique, il en avait contracté une admirable aptitude à traiter toutes sortes de sujets. L'élévation et la force de la pensée se joignaient chez lui à la clarté et à la simplicité. Une gaieté tendre animait ses moindres paroles et donnait à ses discours une onction particulière. »
Malgré sa grande jeunesse et bien que la présence de M. Lesplu-Dupré eût permis de se passer des enseignements que peut donner un supérieur de Séminaire, Mgr Dupont-Poursat voulut que, dès le début de son supériorat, M.Mauger siégeât au conseil épiscopal. Sa confiance ne fut pas trompée car le nouveau supérieur y fit toujours paraître « un zèle inaltérable pour le maintien de la discipline, et tout ce qui pouvait entretenir et renouveler la piété dans le diocèse. Les considérations humaines ne dirigèrent jamais sa conduite et la pureté de ses vues ne fut révoquée en doute par personne ; la discrétion et la prudence présidèrent à toutes ses démarches. Une bonté paternelle se manifestait en lui chaque jour davantage et ses qualités éminentes se perfectionnèrent encore par l'expérience que donne une administration importante. »
M. Mauger collabora très activement à la rédaction du Bréviaire et du Catéchisme de Coutances. C'est lui qui rédigea les préfaces de ces deux livres. Le clergé regretta beaucoup que ses commentaires si admirés sur les psaumes n'eussent pas été livrés à l'impression.
Dès la première année de son supériorat, en 1821, M. Mauger avait contribué à la fondation de la Société des Missionnaires diocésains qui eut son siège au Séminaire. C'est lui que Mgr Dupont-Poursat envoya à Avranches pour déterminer le curé de Notre-Dame-des-Champs, l'abbé Harel son ancien condisciple à Avranches et à Coutances à prendre la direction de la nouvelle société.
M. Mauger avait à peine fini d’organiser la société des Missionnaires qu'il dut s’occuper d'une Congrégation de religieuses dont la fondation, au XVIIème siècle, est due à un supérieur du Séminaire, M. Dupont. C'est encore un supérieur du Séminaire qui intervient, en 1824, pour restaurer la communauté presque anéantie par la persécution. Le 12 mars de cette année, M. Mauger, accompagné de M. Harel, supérieur des missionnaires diocésains se rendit à Périers pour y procéder solennellement à l'érection de la nouvelle communauté. Non content de donner le saint habit aux religieuses et de recevoir leurs vœux, il s'appliqua à faire revivre les traditions de la congrégation avec le concours d'anciennes religieuses qui avaient survécu à la Révolution et pour en perpétuer l'esprit, il leur expliqua la règle au cours de plusieurs retraites dont il fut lui-même le prédicateur.
Au début d’avril 1826, un missionnaire d’Amérique J.B. Fauvel, écrivait de Paris à M. Mauger pour lui annoncer la visite du jeune prince Toragaron Anovara qu’il avait l’honneur d’accompagner en Europe. Ce jeune prince devait jouir d’une certaine considération, car il avait été reçu à Paris par le Dauphin et la Duchesse de Berri. Le nonce, Mgr Macchi, l’avait également bien accueilli et recommandé au souverain pontife qu’il devait aller voir en partant de Coutances. Ce jeune prince voyageait incognito et il avait renvoyé chez eux les quatre indigènes qui l’accompagnaient parce qu’ils attiraient l’attention. Le seul document qui nous reste de cette visite princière est la lettre de M. Fauvel timbrée à la cire rouge de l’écusson princier et dorée sur tranche.
Le 15 janvier 1834, Mgr Dupont-Poursat ajouta le post-scriptum suivant à une circulaire adressée à son clergé : « Il s’imprime depuis trois ans des Etrennes Coutançaises ou Annuaire ecclésiastique et civil du diocèse de Coutances. Ce second titre et surtout une note de la nouvelle édition sembleraient indiquer que j’aurais approuvé cette entreprise et permis que l’on communiquât du Secrétariat à l’éditeur des notes officielles. La notice aussi fausse qu’inconvenante sur M. Mauger et la désignation de curé que prend M. Piton-Desprez prouvent assez que ni moi, ni aucun ecclésiastique n’avons été consultés sur une semblable publication. Je dois déclarer que mon administration y est tout à fait étrangère. »
M. Piton-Desprez était un ancien curé de Saint-Germain-de-Varreville qui, obligé par l’autorité ecclésiastique de quitter sa paroisse à la suite de difficultés dont il ne se croyait pas responsable, avait élu domicile près de la cathédrale. Il se livrait à des recherches historiques et avait entrepris la fondation d’une « académie clandestine » et d’une association de bonnes œuvres entre jeunes prêtres qui s’engageaient à dire une messe à la mort de chacun d’eux. La notice sur M. Mauger n’occupe qu’une demie page : « Fils d’un simple potier (2) de Ger, M.Mauger s’est rapidement élevé aux dignités ecclésiastiques, non comme il n’est que trop commun partout, dans ces malheureux temps où nous vivons, en rampant et par la brigue, mais par des talents reconnus et un mérite réel. Il a été regretté pour les services qu’il rendait au diocèse […]. Peut-être s’est-il montré trop pusillanime et trop obstiné dans ses préventions, trop partial et trop dur envers ses inférieurs. »
Il est vraisemblable que M. Mauger avait dû être pour quelque chose dans la mesure disciplinaire qui avait privé de sa cure l’auteur de cette notice…
Les critiques de M. Piton-Desprez n’empêchèrent pas M. Mauger de jouir jusqu’à la fin de l’estime de tout le diocèse. On disait même dans le diocèse qu’il serait le successeur de Mgr Dupont-Poursat.

Ce fut donc un grand émoi dans le diocèse quand on apprit subitement au début d’août 1833 la mort d’un prêtre sur lequel on fondait de si belles espérances. Il n’avait que quarante-six ans. En réalité, il souffrait d’une fièvre typhoïde qui s’était aggravée subitement. Il fut inhumé au cimetière Saint-Nicolas. Sur la stèle funéraire de la sépulture qu’il partage avec M. Lesplu-Dupré, on peut lire (en traduisant le latin !) :

"Jacques Mauger, chanoine, Vicaire général, supérieur du Séminaire. Agé de 46 ans, il s’endormit dans le Seigneur le 30 Juillet 1833. La maison des Lévites pleurait devant lui et disait : Mon Père, mon Père, le char d’Israël et son conducteur, Princes illustres d’Israël, Aimables et gracieux durant leur vie, la mort même n’a pu les séparer. Le clergé leur a élevé ce monument."
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(1) On peut lire : Bap. Jacques MAUGER, fils de Jean Michel et de Marguerite RAJOT son épouse, né et baptisé le 18 octobre 1787 par moi vicaire soussigné et nommé par Jacques MAUGER, grand-père de l’enfant qui a signé, assisté de Jeanne VENIARD, grand-mère du côté maternel qui ne signe point.
(2) Potier ou boulanger ? il s’agit d’une erreur de M. Piton-Desprez, les parents de Jacques Mauger étaient boulangers, ses grands-parents paternels, ses grands-parents maternels étaient également boulangers… A notre connaissance, deux couples parmi les quatre couples d’arrière-grands-parents étaient aussi boulangers. Encore un bel exemple d’endogamie !

Généalogie de Jacques Mauger (PDF)